Ayant été interviewée, ainsi que de nombreux patrons d'entreprises françaises en Chine, par le magazine L'Usine Nouvelle pour son supplément du 17 mars 2011, je contaste en le lisant que les propos cités ne sont pas toujours suffisamment analysés, ce qui donne l'impression qu'en Chine, le business est soumis à des bizarreries culturelles auxquelles les Occidentaux doivent se soumettre sans très bien comprendre pourquoi...
Or, ces différences dans les pratiques commerciales et managériales ont des explications très rationnelles!
J'ai choisi d'analyser ici quelques commentaires de dirigeants français, pertinents en ce qu'ils sont révélateurs de l'inévitable adaptation des best practices occidentales aux logiques de fonctionnement chinoises:
-Sur la planification: Jean-Pascal Tricoire PDG de Schneider Electric: "J'ai abandonné le plan stratégique à trois ou cinq ans, qui se révèle à peu près toujours faux! Nous nous attachons plutôt à surveiller les signaux faibles et à réagir de façon pragmatique".
Un patron chinois parlerai exactement ainsi car c'est la vision taoïste du monde ... Inutile de croire qu'on peut contrôler la réalité en la modélisant, puisque la seule certitude des Chinois, c'est que tout change sans cesse. Il faut développer ces compétences, nouvelles pour les Français amateurs de plannings, mais très chinoises: observation du contexte et réactivité.
- Sur les relations client-fournisseur: Jean-Charles Thuard Directeur Chine de Legrand: "Ce sont nos patrons opérationnels tous chinois bien sûr qui assurent le guanxi (relationnel) avec nos grands clients."
Antonio Villacampa, CEO Asie d'Arc International, soutient la même idée à propos de ses équipes commerciales.
Loin de la définition occidentale, contractuelle et donc désincarnée, de la relation client-fournisseur, la vision chinoise évoque un "point d'entrée" et un lien personnel, affectif dont la qualité se mesure au temps informel passé ensemble et aux services rendus...
Un Chinois est évidemment plus apte à gérer cette relation, qui est à la fois un levier pour convaincre le client ou le fournisseur chinois, mais aussi une forme d'allégeance qui va amener ce commercial ou acheteur chinois à prendre souvent le parti de son client ou fournisseur chinois contre sa propre entreprise.
Car la relation interpersonnelle est plus forte, plus impliquante que cette relation abstraite qui lie un salarié chinoise à son entreprise: de même qu'il n'y a de confiance que personnelle, il n'y a d'engagement que personnel. D'où l'importance cruciale de renforcer la relation du collaborateur à son entreprise pour équilibrer la balance, mais aussi pour limiter le turn over...
- Sur le management d'équipes chinoises: Repas, jeux, excursions, et photo de groupe... "C'est très important pour eux. Une entreprise occidentale doit multiplier les initiatives de ce genre pour motiver et fidéliser ses salariés" assure jean-Luc Charles DG d'Airbus.
Oui, mais pourquoi? Ce n'est pas évoqué dans l'article, mais ce dont il est question ici est le qunti huodong (activité collective), un des (seuls) moyens de susciter une forme d'appartenance à l'entreprise... à la manière d'une famille.
Pratique très répandue dans les PME et grands groupes chinois et que les Occidentaux sont bien inspirés de copier!
L'article intitulé "Sept règles d'or pour manager des équipes" n'est pas pas mal. On sent que le journaliste a bien lu notre livre "Etre efficace en Chine"...
Il évoque notamment la tendance de nombreux managers chinois, en contradiction avec les valeurs de l'entreprise occidentale, à se montrer autoritaires, secrets voire punitifs:
"Avant de promouvoir quelqu'un, je vérifie que, pour lui, manager ne signifie pas donner des ordres comme c'est parfois le cas, mais développer des compétences de chacun", explique Cédric Combemorel, Directeur R&D chez PSA.
"La capacité à travailler ensemble, en particulier à partager l'information fait partie des critères de performance individuelle", précise Laurent Périer de STMicroelectronics. C'est en effet l'un de mes crédos lorsque je forme des Français à travailler avec la Chine:
Si vous attendez de vos collaborateurs chinois des comportements qui ne sont pas valorisés dans la culture chinoise, et ne leur sont donc pas "naturels" (transparence, autonomie, esprit critique, transmission du savoir-faire par le manager, etc...), créez une incitation forte. Il vous faut à la fois donner l'exemple personnellement, mais aussi distinguer et récompenser ceux qui prennent le risque de s'affranchir de schémas inculqués depuis l'enfance.
Chloé Ascencio
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